Auguste Laugel Antoine-Auguste Laugel (20 gennaio 1830 – 1914) è stato uno storico e ingegnere francese nato a Strasburgo. Ricevette la sua educazione all’École polytechnique di Parigi e per un certo periodo fu segretario e confidente al Duca di Aumale.
Successivamente è stato nominato direttore delle Ferrovie di Parigi a Lione e nel Mediterraneo (PLM), presso la compagnia ferroviaria francese. Ha pubblicato articoli su varie riviste come la rivista dei Deux Mondes, dove ha scritto un importante racconto su “L’origine delle specie” di Darwin nel 1860.
È stato autore di numerose opere storiche e filosofiche.
Ha compiuto un viaggio in Sicilia e ha pubblicato nel 1872 le sue note di viaggio col titolo
april 1872
On arriveen fin à deux heures devant Girgenti nous y recevons l’hospitalitémagnifique du baron G.
On nous conduit d’abord à la cathédrale, une église du treizième siècle, restaurée, défigurée, sans style, remplie de grands pilastres peints, d’autels, de miroirs, de verroteries. La foule nous suit les femmes, la tête enveloppée de châles, s’assoient surles marches des autels; les enfants, les chiens courent en tous sens. Nous avons quelque peine à bien examinerle sarcophage antique qui sert de baptistère.
On a enlevé les planches de bois qui protègent les quatre faces. Les deux grands bas-reliefsreprésentent Hippolyte au moment de partir pour la chasse; le second, Hippolyte chassant le sanglier. Les femme; la suivante est derrière, elle a reçu le secret fatal qui vient d’échapper à sa maîtresse; cependant des jeunes filles jouent de la cithare et se tiennent respectueusement devant leur souveraine. Phèdre n’a rien de l’antique matrone, vigoureuse, hardie; sa beauté presque fragile, sa grâce exquise ajoutent je ne sais quoi de plus poignant à l’émotion. On la plaint; elle ne succombe pas aux ardeurs viles d’une Messaline, elle est comme une fleur penchée sur le précipice; elle brûle d’une flamme éthérée; elle est déjà coupable, elle est encore chaste. Ce petit basrelief est aussi pur, aussi beau que tout ce que l’antiquité nous a transmis; je ne puis en dire autant des trois autres. La scène où Hippolyte, prêt à partir avec ses compagnons, reçoit le secret de la bouche de la suivante qui se hisse à son oreille, est belle encore.
Les jeunes et farouches chasseurs ont bien les têtes grosses, les torses un peu épais; mais Hippolyte, la lance en main, la tête détournée, ne manque pas de grandeur. Ses amis, impatients, retiennent les chevaux et les chiens. Il semble presque impossible que la chasse d’Hippolyte soit de la même main. L’anatomie est beaucoup moins parfaite tout est rude et presque inachevé. La mort du fils de Thésée n’est guère qu’une ébauche. On croit que :e sarcophage est une copie faite par des ouvriers siciliens de quelque œuvre grecque célèbre; on expliquerait ainsi qu’il y ait de telles dissemblances d’exécution entre les diverses parties. Les Grecs de Sicile, on le sait, raffolaientd’Euripide; les Syracusains donnèrent la liberté à des prisonniers qui déclamaient des vers de leur poëte favori. Mais si le sarcophage de Girgenti n’est qu’une copie, comment n’a-t-il jamais été fait mention de l’original?
En sortant de la cathédrale, je vais me promener sur la grande terrasse de Girgenti et contempler la vue admirable dont on y jouit. Sur toute cette côte, des couches de grès plein de coquilles ont été relevées sous une assez forte inclinaison elles descendent versla mer en tables solides et épaisses, pareilles aux marches d’un escalier qui seraient inclinées.
La plus élevée est la Rupe Atenea, où se voyaient les temples de Minerve et de Jupiter Atabyrius; audessous est la ville moderne, sur l’emplacement de laquelle était le temple de Jupiter Polieus, dont il y a encore quelques colonnes enfouies dans les fondations d’une petite église. Sous cette deuxième marche d’escalier, où se trouve comme suspendue l’Agrigente moderne, enfermée dans ses hautes murailles, une marche plus basse porte une série de temples ruinés, solitaires, qui tracent une longue ligne parallèle à là mer; plus bas encore, une quatrième marche gigantesque, nue, large de plus de deux kilomètres, va droità la mer et trace une longue ligne unie sur le fond bleu des eaux. Ces grands plis, traversés par deux torrents, l’Acragas et l’Hypsa antiques, qui ne se réunissent que sur la pente inférieure, ont une ampleur et une majesté singulières.
La pente énorme qui va du sommet de l’île à la mer A de grandes cannelures comme une colonnedorique. Erice moment, la ville moderne semble en feu; le soleil couchant fait saillir les bastions anguleu rive sacrée? Cette mer qui fuit si loin dans le ciel, est-il vrai qu’elle touche à l’Afrique? Carthage m’apparaît au loin; je revois les flottes lentes, les vaisseaux à la proue élevée qui se sont disputé l’empire de ces eaux azurées. Je pense à Rome; mais non, Rome est trop près je ne veux songer qu’à l’heureuse Hellade, à cette civilisation qui vivait de beauté, aurore de l’humanité, sans nuages, sans trouble, sans remords. Moins puissante que Syracuse, Agrigente était pourtant une des plus belles villes helléniques. C’était une fille de Géla, fille elle-même de Syracuse. Elle granditrapidement, et devint le port principal de la rive méridionale.
Son premier tyran fut Phalaris. C’était un Crétois, un architecte chargé de construire le temple de Jupiter Polieus, il changea ses maçons en soldats, et se rendit maître de la ville pendant une fête de Cérès.
Sa mémoire est encore maudite tout le monde connaît le taureau de Phalaris, où le tyran aurait fait mourir d’abord Perillus, celui qui avait fondu le monstre de bronze. Dédale, fuyant la Crète, fut recueilli, suivant Diodore, par le roi sicanien Cocalus, qui avait bâti une forteresse sur la colline de Cacimus. Le minotaure était Crétois, parent peutêtre des Moloch, des dieux monstrueux et cruels de Carthage. Le taureau de Phalaris n’est-il qu’un souvenir symbolique de la lutte entre les dieux de la Grèce et ceux de l’Afrique? entre les divinités qui voulaient des sacrifices humains et celles qui se contentaient du sang des bœufs, des agneaux? Lucien, qui était un libertin, un philosophe, a deux dialogues sur le taureau de Phalaris il imagine que le tyran d’Agrigente envoie cet instrument de torture à Delphes; les prêtres remercient les envoyés au nom du dieu. Diodore affirme que Li taureau exista; il raconte qu’Himilcon l’emporta à Carthage, que Scipion, après la prise de cette ville’, le renvoya aux Agrigentais’. 1.On aime aujourd’hui à réhabiliter les tyrans Phalaris a aussi le profit de cette mode. On avoue bien qu’il était cruel; mais, vivant six siècles avant notre ère, il étaü de son temps. Il recherchait les philosophes, les artistes. Il fut clément comme Auguste, pardonna à Ménalippe et Chariton, couvrit
d’honneurs Stésichore, qui avait raconté aux gens, d’Himère la fable du cerf et du cheval pour les empêcher de demander des secours à Phalaris; il donna l’hospitalité à Zénon l’Éléate, à Pythagore même, écouta les remontrances de ces prophètes errants de l’Hellade. Il se plaignait à Pythagore des soucis de la tyrannie. « Qui voudrait naître, s’il conCicgRo-
In quibus etiam ille nobilis taurus, quem crudelissimus
omnium tyrannorum Phalaris habuisse dicitur, quo
vivo, supplicii causai, demittere homines, et subjicere flammam
solebat. Quem taurum Scipio quum redderet Agrigentinis
dixisse dicitur. (De Sigi2is.)
naissait les tourments de la vie? Mais une fois né,
qui veut mourir? Personne de même ne voudrait
être tyran, s’il connaissait d’avance les soucis de la
tyrannie; mais celui qui l’est devenu ne peut plus
cesser de l’être’. »
Phalaris mort, et la tradition veut qu’il ait été
lapidé par le peuple, Agrigente redevint une république
démocratique. Quand Gélon se fit tyran de
Syracuse, Agrigente se donna un nouveau tyran,
Théron. Leur alliance porta la Sicile au comble de
sa puissance. Carthage fut vaincue à Himère les
Carthaginois prisonniers furent employés à bâtir les
principaux temples d’Agrigente. Les habitants de la
ville, riches, vivaient dans la pourpre; toute la
campagne était couverte de vignes, de vergers. Des
fêtes magnifiques amusaient le peuple. Pindare,
Eschyle, Simonide étaient les hôtes du tyran.
Après lui, Empédocle donna à la ville une sorte de
constitution; l’aristocratie et le peuple se partageaient
le pouvoir. Il faut se figurer le grand philosophe,
vêtu de longs vêtements de pourpre, avec un
collier d’or, des cheveux flottants, suivi de beaux
jeunes gens. La philosophie positive n’invente rien
quand elle veut faire des savants les conducteurs des
hommes. Empédocle, qui s’érigeait en demi-dieu.
était un savant, un médecin; il avait assaini la
1 Vie de Pythagore, par Jamblique.
plaine fiévreuse de Sélinonte; il fit couper une montagne
pour donner le vent du nord à Agrigente; il
se donnait à lui-même le nom de Jupiter, traitait
les rois, Philippe de Macédoine, Agésilas de Sparte,
d’égal à égal. Il fit-des miracles, ressuscita une
femme, disparut miraculeusement; la légende le
montre se précipitant dans l’Etna. Il reçut des honneurs
divins à Sélinonte; Agrigente lui éleva une
statue qui plus tard fut transportée à Rome, et placée
devant la curie. Philosophe, oracle, charlatan!
Le port d’Agrigente se nomme encore le port d’Empédocle.
J’ai vu dans la rue principale un café d’Empédocle.
Le peuple est fidèle.
Comme Venise, comme toutes les républiques
aristocratiques, Agrigente se corrompit par la richesse.
Diodore se complaît à peindre son luxe, il
n’oublie rien; on peignait les enfants riches avec
des peignes d’or. La ville donna un jour à Exénètè,
vainqueur dans une course, trois cents paires de
chevaux blancs. Gellias avait dans ses caves trois
cents tonneaux de pierre pleins de vin. La fille
d’Antisthène allait à l’autel, le jour de son m
lers. Sans les mercenaires de Sparte, on n’aurait pu
offrir aucune résistance sérieuse. La peste fut l’ennemi
le plus terrible des assiégeants, campés au pied
des hautes murailles dont on voit si bien les restes
en avant des vieux temples. Quand les vivres furent
épuisés dans la ville, les mercenaires désertèrent; le
peuple entier, hommes, vieillards, enfants, quitta
la ville, de nuit, sous la conduite des derniers soldats,
dans les larmes, les gémissements, et prit le
chemin de Géla. Beaucoup restèrent, qui se donnèrent
la mort. Himilcon entra le matin dans la
ville muette, abandonnée; tout ce qui restait fut
passé au fil de l’épée. Gellias, dit-on, réfugié dans le
temple de Minerve, voyant venir les Carthaginois,
y mit le feu de sa main. On imagine ce que fut le
butin dans cette ville, la plus riche des colonies
grecques. On emporta tout ce qu’on put sur les
vaisseaux. La ville fut rasée, et l’armée féroce des
Africainsse vengea sur des pierres de ses soufrànces,
de ses terreurs et de ses fatigues. Les temples ne
furent pas respectés; ce que le feu avait laissé fut
livré au marteau. Il ne resta debout que ce qu’épargnèrent
des bras lassés de détruire. Il faut penser à
cela quand on ‘parcourt les vieux temples doriques
songer que cette beauté n’est qu’une beauté souillée,
mutilée, que ces pauvres pierres ont plus souffert
encore des hommes que du temps. Le temps, sous
ce ciel si’doux, est clément; il ronge peine les
angles, les cannelures; mais où l’homme passe, sa
fureur enfantinene connaîtpoint de merci. Çarthage
piétina surle cadavred’Agrigente assassinée, violée,
arracha ses beaux membres, voulut la rendre de suite
méconnaissable. En face de ces ruines, on pardonne
le « Delenda est Carthago ». Et que reste-t-il de Carthage
? Pas même une ruine un nom exécrable et
maudit!t
La nature est meilleure que les hommes; de quelle
parure merveilleuse elle enveloppe ces grands tombeaux
d’une religion antique I Le feuillage argenté
des oliviers, les fleurs roses de l’amandier, les vertes
pousses des figuiers, les hautes herbes, les fleurs
sauvages remplissent le grand cimetière. Le soleil
dore et caresse les vieilles colonnes; les rayons glissent
dans les fines cannelures et sur les gorgerins;
ils s’enroulent sur les chapiteaux doriques, coussins
de pierre qui portent les grands entablements
pensifs.
Voici tout ce qui reste du temple de Castor et de
Pollux au milieu d’un pré, quatre colonnes portent
quelques pierres de l’architrave et de la frise
on aperçoit encore cà et là sur la pierre rugueuse
des débris de stuc antique, quelques couleurs, un
peu de bleu, de rouge de brique. Ce temple avait
treize colonnes dans sa longueur, six sur les façades.
Un peu plus loin, gisent en désordre les restes du
fameux Olympion; des mains pieuses ont mis les
uns à côté des autres les morceaux d’un des Atlantes
gigantesques qui soutenaientla cella à peine l’œil
peut-il reconnaître une cariatide dans ce grand
monstre couché sur le dos, aux jambes noueuses,
aux bras ramenés au-dessus de la tête. Pas une colonne
n’est debout. Ce temple remonte à l’époque
où les Grecs cherchaient encore dans la grandeur
brutale un élément de beauté. On l’a mesuré, il dépassait
la Madeleine de Paris en superficie; quelques
chapiteaux qui gisent par terre ont enfoncé le sol de
leur masse énorme. Les colonnes n’étaientpas libres,
elles étaient à demi engagées comme des pilastres
dans le mur.L’art est encore ici monstrueux,gauche,
sans grâce; il rappelle les constructionsmassives de
l’Orient. J’aperçois sur quelques débris des plis de
draperies; mais nulle figure, nulle forme humaine
n’est restée visible. Presque tous les blocs portent les
entailles en fer à cheval où l’on passait les câbles
qui servaient à soulever les pierres. Je m’assieds un
moment sous un caroubier, au-dessus d’une véritable
mer de pierre; on dirait des blocs charriés dans
une débâcle ils se hérissent,surgissenten toussens.
Que de siècles ont passé sur ces débris mutilés!
L’imagination essaye de les relever, de refaire ces
murailles majestueuses; elle prend des couleurs à la
terre, au ciel, pour les en revêtir; elle relève les
géants.qui portaient le toit, puis tout retombe. On
ne voit plus que les blocs immobiles inclinés les
uns sur les autres, les mousses qui les rongent, les
petites herbes qui s’y sont logé2s, les fleurs innocentes,
les ombres que projette le soleil en sa marche
monotone.
L’Olympion fut bâti après la grande victoire d’Himère.
L’Hellade célébrait partout son triomphe;
elle élevait à Athènes le Parthénon, à Sélinonte un
autre Olympion, à Olympie le temple de Jupiter, à
Phigalée le temple d’Apollon,, à Argos le temple de
Junon. La défaite des Carthaginois à Himère et
celle des Perses à Salamine avaient établi la suprématie
de la Grèce. Les noirs nuages venus de l’Asie,
de l’Afrique étaient dissipés. Le lourd Olympion
d’Agrigentefut bâti lentement; ils’élevaitseulement
jusqu’au toit en 406, quand la malheureuse ville fut
prise et détruite. Voici ce qu’en dit Diodore un siècle
après
« La construction de leurs temples, surtout de
celui de Jupiter, manifeste la magnificencedes Agrigentins
à cette époque. Des autres temples, les uns
furent biùlés, les autres totalementdémolis dans les
fréquentes prises de la ville. Mais le temple de Jupiter
Olympien allait recevoir son toit quand son
achèvement fut arrêté par la guerre. Depuisl’époque
de la destruction de leur ville, les Agrigentais n’ont
jamais été en mesure d’achever les édifices alors en
construction. Ce temple a une longueur de trois
cent quarante pieds, une largeur de cent soixante
et une hauteur de cent vingt, sans compter la base.
C’est le plus grand de tous les temples de Sicile,
et pourla grandeur des proportions on peut le comparer
à ceux des pays étrangers. Bien que le plan
primitif n’ait pu être complété, les intentions et
l’arrangement sont clairement manifestes. Tandis
que les uns élevaient des temples avec de simples
murailles, que les autres les entouraient de colonnes,
ce temple participe de ces deux modes de
construction; car les colonnes étaient engagées dans
la masse des miurailles et arrondies extérieurement,
mais elles avaient une face carrée à l’intérieur du
temple. Leur circonférence à la partie extérieure
était de vingt pieds, de façon que le corps d’un
homme pouvait entrer dans une cannelure; et la
partie interne mesurait douze pieds. La grandeur et
la hauteur des portiques étaient merveilleuses. Sur
la partie qui fait face à l’orient était représentée la
bataille des dieux et des géants, admirable pour sa
grandeur, sa beauté, pour l’excellence du travail;
sur le côté ouest, la prise de Troie, où chacun des
héros, sculpté avec soin se reconnaissait à ses caractères
particuliers. »
Polybe vit encore le temple debout; les tremblements
de terre, les Sarrasins le démolirent
peu à peu. En 1401, trois des grands Atlas, les
seuls qui restaient encore debout, s’écroulèrent.
Le’temple devint une carrière les pierres du môle
de Girgenti, bâti sous Charles III de Bourbon, en
viennent.
En suivant la ligne des temples, j’arrive à celui
d’Hercule mais qu’on n’attache pas trop d’importance
à ces noms, que l’archéologie change .de
temps en temps. La base du temple, dont les cinq
marches sont nettement dessinées, est couverte de
débris de colonnes écroulées; une seule reste debout
¡d’angle d’un fronton, découronnée, sans chapiteau,
sentinelle du passé. Au pied de l’escalier et sur les
marches mêmes gisent aussi des débris; tout auprès
de la colonne solitaire, un olivier laisse pendre son
feuillage clair-semé, bicolore; au bord d’une coupure
du terrain, les aloès tordent leurs feuilles aiguës;
les fines graminées caressent -les cannelures et les
débris de la frise, où se voient encore quelques traces
de couleur pourpre. Après l’Olympion, le temple
d’Hercule était le plus grand d’Agrigente il était
hexastyle périptère, avait quinze colonnes dans la
longueur, six dans la largeur. Les chapiteaux doriques
ont cette courbe inexprimable, où l’on sent
une certaine mollesse en même temps que la force
extrême, comme d’une chair ferme et dure; quatre
fines raies y sont tracées à la partie inférieure de la
large et pleine échine. La hauteur des colonnes
avec le chapiteau égale quatre fois et demie seulement
le diamètre de la. base (38,2 palmes); il en
résultait une impression de vigueur extraordinaire,
ainsi que du large entablement qui avait près de
la moitié de la hauteur des colonnes. La. frise, l’architrave
étaient enduites de peinturesrouges, bleues,
noires, blanches.
La cella hypèthre renfermait la célèbre statue
d’Hercule.que Verres tenta de dérober. Cicéron raconte
que le pied de bronze était usé par les baisers
des adorateurs du dieu de la force. Le temple fut
attaqué la nuit par les satellites de Verrès; les gardiens
furent repoussés. On brise les portes; on va
enlever la statue, quand les Agrigentins, réveillés
dans leur sommeil, arrivent en foule et mettent en
fuite les voleurs. Ce Verrès avait organisé le pillage
systématique de la Sicile on ne peut faire un pas
en Sicile sans rencontrersa trace. C’est le plus illustre
bandit de l’histoire. On comprend bien, en relisant
le plaidoyer de Cicéron, à quel degré d’abaissement
la pauvre Ile fut réduite sous la cruelle domination
de Rome. Ce Verrès d’ailleurs était un artiste, un
collectionneur; il savait choisir, il aimait le beau. Si
ce préfet intelligent paraît avoir eu une préférence
pour les objets sacrés, ce n’était pas pour le plaisir
d’outrager les dieux, mais seulement parce que les
plus belles statues étaient dans les temples. Il serait
peut-être temps qu’on le réhabilitât, après Phalaris,
et qu’on dîtson fait à Cicéron, qui, à propos de cette
statue même d’Hercule dont nous parlons, avoue
qu’il n’entend pas grand’chose aux beaux-arts Ta-
metsi non tam multum in istisrebus intelligo, quam
multa vidi.
Il y avait en outre, dans.le temple d’Hercule, une
Alcmène de Zeuxis. Suivant Pline, l’artiste avait été
si charmé de cette œuvre, qu’il n’avait pas voulu y
attacher un prix’ et l’avait donnée au dieu.
Par un sentier bordé de fleurs, parmi des arbres
charmants dont le feuillage printanier, jaunâtre encore
et comme lavé par des mains invisibles, luit
gaiementau soleil, nousmontons le légerrenflement
qui domine le temple de ‘la Concorde. A quelque
distance, il est si beau qu’on n’a point envie d’approcher.
Sur l’ombre calme et noire du péristyle se
détachent les six colonnes du fronton. Le temple est
entier; la colonnade latérale. fuit jusqu’au fronton
postérieur, aussi debout. Pourquoi ces colonnessans
base, avec ce lourd turban du chapiteau couvert d’un
énorme dé carré, semblent-elles presque^aériennes?
Est-ce parce qu’elles semblent sortir du rocher et
participer de sa force sans limites? parce que les cannelures
font onduler leur masse arrondie? ou plutôt
parce qu’une lumière éthérée les transfigure, les soulève,
les irradie? La grâce ne se mesure pas au
compas. Les feuilles d’acanthe du chapiteau corinthien
peuvent-elles bien soutenir les lourdes assises
d’un entablement? On s’attend à les voir plier, se
rompre; mais l’anneau dorique est résistant, sa courbure
le fait croire élastique.Commel’œiljouit de cette
vie de la pierre, de cette pureté de lignes! L’ombre
accentue tout; elle fait saillir la forte corniche, elle
dessine les gouttièresdes triglyphes, les petites perles
qui semblent en dégoutter; elle infléchit les chapiteaux,
les cannelures; elle oppose de sombres plans
à la pierre étincelanté, aux doux rectangles d’azur
des entre colonnements; elle équarrit les quatre
marches qui soutiennent tout l’édifice comme un
piédestal. Le christianisme a
sauvé ce temple merveilleux
en changeant la cella en chapelle. Tout est
debout, les trente-quatrecolonnesântiques, les deux
frontons,; il ne manque que le toit. Dansla cella,
on voit encore jusqu’aux escaliers qui conduisaient
sur le toit. On ne peut voir un temple dorique plus
complet, plus parfait. Sur toutes les colonnes, on
aperçoit encore des portions revêtues du fin enduit
blanchâtrequi couvrait jadis toute la pierre.
Un peu.plus loin est le temple de Junon Lucinie.
Les frontons sont écroulés; mais les colonnessont
debout, et tout un côté du temple supporte encore
l’entablement; l’autre côté, avec les murs de la cella,
a été renversé par un tremblement de terre. Ici aussi,
il y avait un portique de trente-quatre colonnes à
vingt cannelures, treize colonnes sur la longueur,
six sur les frontons. Comme celles du temple de la
les colonnes ont vingt cannelures; leur hauteur est à peu
près égale à cinq fois le diamètre de la base.
Concorde, les colonnes ont un peu plus de légèreté
que celles du temple d’Hercule. Il y a comme une
gradation de légèreté depuis le lourd et énorme
Olympion jusqu’au temple de Junon, qui est peutêtre
en relation mystiqueavec l’altitude, car la pente
s’élève toujours à partir de l’Olympion. Les colonnes
isolées du temple de Junon semblent presque grêles
détachées sur le fond du ciel. C’est ici que Zeuxis
avait mis sa célèbre statue de Junon, pour laquelle
avaient posé, dit-on, les plus bellesfilles d’Agrigente.
La vue de ce point est admirable. Le temple de la
Concorde s’élève au-dessus d’une épaisse verdure;
on aperçoitl’anciennemuraille demi-écroulée,percée
de niches, de trous de columbarium. Au pied, des
pentes couvertes de fûts de colonnes, de blocs, la
plaine verte où campèrent les Carthaginois, et la
ligne majestueuse de la mer parallèle à la ligne des
temples. Quel calme en ce beau lieu 1 quelledouceur
et quelle quiétude sur cette rive bénie, d’où n’approchent
plus la guerre, l’horrible invasion et les
flottes ennemies Mais qui désormaisjouira de cette
paix? Où sont’ les richesses qui paraient ces temples?
Qui de nous peut seulement bien comprendre cette
géométrie sacrée, cette esthétique oubliée et naïve,
cette simplicité sublime?Nos âmessans cesse remuées
ne savent plus jouir pleinement de ces formes sans
flexions, qui ont la fixité de l’éternité; elles ne connaissent
plus le charme de la symétrie parfaite, elles
soupçonnent sans le comprendre le mystère qui dort
depuis des siècles dans des pierres qui ne sont plus
qu’un masque sans vie.
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