Girgenti (Agrigente).
Estratto dal giornale “Le Tour du monde: Journal des voyages et des voyageurs” (2ème semestre 1860). testo di M. Félix BOURQUELOT
L’emplacement qu’occupe Girgenti n’est pas tout à f
ait celui où se trouvait jadis Agrigente. La ville antique, fondée 582 ans avant Jésus-Christ, et dont le nom grec _Acragas_ est celui de l’un des deux cours d’eau qui baignent son territoire, était bâtie sur un point moins élevé et plus rapproché de la mer. La cité moderne, où l’on compte 18 000 habitants, est sale, mal bâtie et mal pavée; une rue qui la traverse irrégulièrement dans toute sa longueur est seule abordable en voiture; les autres rues ne sont que des chemins étroits et boueux. Les femmes que l’on rencontre dans les rues (et il faut dire que l’aristocratie ne sort pas ou ne sort guère qu’en voiture), sont mal vêtues: aucune ne m’a paru jolie. Elles laissent leurs cheveux en liberté, après les avoir coupés assez près de la tête, et cette crinière touffue et inculte n’a rien de charmant. Leur peau brune et cuivrée se flétrit avant l’âge. Elles portent des mantes comme dans le reste de la Sicile; le plus souvent ces mantes sont courtes et de couleur blanche.
La population de Girgenti se compose en grande partie de propriétaires de terres, de fermiers et de journaliers. Les Agrigentins mènent une vie retirée, priant beaucoup, dépensant peu et n’apprenant rien. Leur ignorance est proverbiale. Girgenti possède 46 églises, 15 monastères et 17 confréries. La cathédrale, placée sur un sommet, passe pour avoir été construite avec les pierres d’un temple de Minerve. J’y remarquai deux toiles attribuées au Guide, un tombeau antique sans inscription ni sculptures, un éléphant en marbre blanc, haut de soixante-cinq centimètres, et un très-beau sarcophage servant aujourd’hui de baptistère, et sur lequel est représenté le drame de la mort d’Hippolyte.
Les restes de l’antique Agrigente sont épars dans la campagne. Je dus, pour les visiter, me faire accompagner par un guide pris dans la ville. Nous descendîmes par un joli chemin bordé d’oliviers et d’amandiers; nous traversâmes des champs fertiles, et après une demi-heure de marche, nous étions au milieu des tombeaux et des temples. Le temple de Junon Lucine repose sur une roche élevée; des 34 colonnes cannelées d’ordre dorique qui l’entouraient, quelques-unes seulement subsistent, plus ou moins complètes. Dans le rocher sont creusées des chambres sépulcrales dont les habitants se servent pour serrer leurs récoltes. À quatre cents pas environ, s’élève le temple dit de la Concorde, un des mieux conservés que possède la Sicile Au moyen âge, on en avait fait une chapelle chrétienne et on l’avait dédié à saint Grégoire; ce n’est qu’à la fin du dernier siècle qu’on l’a rendu sans partage au culte des arts. C’est un monument admirable par l’élégance et la noblesse de ses proportions (voy. p. 5). On rencontre, en allant d’un temple à l’autre, des fragments plus ou moins considérables des murailles d’Agrigente; des tombeaux ont été creusés dans leur masse calcaire, à différentes hauteurs, et ordinairement en forme de bouche de four. Le temple d’Hercule que l’on voit à la suite de celui de la Concorde n’est plus qu’un amas de ruines; une seule colonne est restée debout.
À quelques pas s’élevait le temple de Jupiter Olympien, qui, suivant Diodore, était le plus grand de la Sicile. Il ne fut jamais achevé. Des pans de murailles, des pierres colossales, des fragments de colonnes dont les cannelures peuvent contenir le corps d’un homme, des morceaux de figures dont la hauteur devait être d’au moins 12 mètres, permettent de juger encore aujourd’hui des dimensions de l’édifice. Je signalerai enfin le temple de Castor et Pollux, dont il reste trois colonnes, et, en dehors des murailles, au sud, l’édifice carré à deux étages, qui a reçu le nom de _Tombeau de Théron_. De Girgenti à Castrogiovanni. — Caltanizzetta. — Castrogiovanni. — Le lac Pergusa et l’enlèvement de Proserpine.
Le 22 septembre, au lever du soleil, je quittai Girgenti, dont les abords, embellis par la verdure variée des cactus, des grenadiers, des oliviers, des amandiers, fourmillaient de gens des campagnes qui se rendaient à la ville, les uns à pied, les autres sur des mulets portant de volumineux pains de soufre, les autres dans de petites voitures découvertes et ornées de peintures aux couleurs brillantes. Au delà du village _delle Grotte_, cette fraîcheur et cette vie disparaissent; on s’engage dans un pays montueux et aride, dont la principale industrie est l’exploitation des mines de sel et de soufre. Après avoir déjeuné dans un _fondaco_ assez malpropre de la petite ville de Regalmuto, nous traversons sans encombre Canicatti, dont on m’avait représenté la population comme fort adonnée au brigandage, et nous arrivons à Serra di Falco, où je reçois un témoignage de ces vertus hospitalières dont l’antiquité faisait honneur aux Siciliens